[Jeudi 24 octobre 1940 8h43]
Trépignant depuis un moment à l'intérieur de ma boutique, je guette à travers la vitrine Levreau, attendant devant la devanture fermée de Alluard, tel un chat enfermé essayant par tous les moyens d'ouvrir cette satanée porte.
Alors que je commençais à me dire que si Levreau était un chat, ce serait sûrement un de ceux que l'on trouve dans les ordures, avec le poil tombant et l'oreille coupée, donnant l'impression d'avoir la gale, voilà que j'entend le rideau s'ouvrir.
Je ne me souviens plus de la dernière fois où la rue était si calme à une heure aussi tardive... C'est bien la première fois que j'entend le bar ouvrir. Il faut dire que les soldats allemands, en poste toute la nuit, furetant le moindre recoin de pavé ont largement contribué à cette atmosphère... dépouillée, dira-t-on.
Les allemands m'ont empêché d'effectuer mes besognes cette nuit. Non que cela soit réellement pressé, mais dans quelques jours l'odeur commencera à tout infecter, et il ne sera alors plus possible de nier. Et je dois voir Arthur, je l'ai sacrément mis dans le pétrin le jeunot.
Après m'être assuré d'avoir mes papiers en poche, je jette un dernier regard à Eugénie -que j'ai dû rassurer toute la nuit malgré son sang-froid habituel- et je sors de la boutique pour traverser la rue en direction du café.
En entrant, je salue l'assistance peu fournie, et me dirige vers le comptoir, sachant que Alluard s'apprête tout naturellement à me servir un verre.
- Alors, nos amis ne sont toujours pas ici? Je les croyais plus matinaux...